Night Call, réalisé par Dan Gilroy, avec Jake Gyllenhaal, Rene Russo, Bill Paxton, Riz Ahmed (01h57min)
Synopsis
Épuisé par sa routine d'apprenti voleur, Louis Bloom décide de se lancer dans une forme alternative de journalisme qui consiste en la recherche d'images chocs et autres faits divers sordides, dans le but de les vendre aux chaînes de télévisions locales. Excessivement investi dans son nouveau métier, Louis Bloom parcourt les rues de Los Angeles pour dénicher les scoops les plus macabres. Il est bien décidé, pour cela, à recourir à tous les moyens et à enfreindre toutes les règles éthiques...
La critique de Boschomy
En s'arrêtant sur le titre original du film - Nightcrawler - on peut immédiatement avoir une idée de l'ambiance qui règne dans le long-métrage de Dan Gilroy : le terme de “nightcrawler”, typiquement américain, évoque en effet ces lombrics rosés, particulièrement friands d'obscurité et d'humidité, se faufilant à peu près partout avec une facilité sans commune mesure. La comparaison peut sembler grossière, elle n'en révèle pas moins énormément sur cette immense escapade nocturne à laquelle nous convie le scénariste du quatrième opus de la saga Jason Bourne : le lombric en question n'est autre que l'intrigant Louis Bloom, qui arpente avec avidité les rues de Los Angeles à la recherche d’événements chocs à filmer afin de les revendre aux chaînes de télévisions locales. Bienvenue dans une incursion glauque et sans concession en plein milieu californien, dans laquelle l'apprenti journaliste va repousser toutes les limites pour satisfaire sa soif de réussite et devenir l'idole de sa propre existence.
Night Call détonne d'emblée par sa tonalité : presque exclusivement tapi dans une obscurité glaciale, teinté par les néons citadins et nuancé par la violence omniprésente dans les rues, le film se complaît dans une fibre artistique qui n'est pas sans rappeler la patte graphique d'un Drive. Même si l' œuvre de Gilroy ne va pas aussi loin dans ses retranchements visuels, il reste très agréable à contempler, conférant une impression hallucinatoire d'intemporalité lors de séquences d'exposition à la fois imprégnées d'ivresse et d'une limpidité irréprochable. Il se dégage une atmosphère qui assure un équilibre de fond permanent, quand bien même se succèdent au premier plan des éclats visuels sanglants ou des prises d'image saccadées, entrecoupés par le visage espiègle d'un Louis Bloom hypnotique. Night Call fait ressortir une impression permanente de décontraction et dessine un itinéraire d'une fluidité assez incroyable, malgré le fait que l'on pourrait lui reprocher un récit mettant à l'écart toute tentative de distorsions formelles.
Le deuxième sujet d’obsession du film - qui figure en fait en première position tant il est omniprésent - est son protagoniste, le mirifique Louis Bloom, antihéros affirmé, sorte de Travis Bickle moderne, mais en bien moins névrosé. Ce qui est fascinant à propos de ce sociopathe en puissance, c'est son perpétuel optimisme envers lui-même, qui cache une fracture psychique plus profonde. De ce point de vue-là, Louis Bloom se présente davantage comme un Patrick Bateman, toujours grand sourire et à l'allure classieuse, baigné dans une philosophie de vie exclusive, excluante, mais sans cesse réconfortante. Lou a réponse à tout et s'accommode de toutes les situations : il aspire au succès et ne se détache jamais de son objectif, quoi qu'il en coûte. Il est ainsi source d'obsessions parce que sa radicalisation, visible au fur et à mesure que le film progresse, ne souffre d'aucune imperfection. On finit ainsi par être absorbé par un antihéros qui, pourtant, ne se revendique d'aucun but noble ultime à atteindre (d'où l'absence de la traditionnelle dualité du antihéros, méchant-malgré-lui) mais s'enfonce au contraire dans sa mégalomanie, jusqu'à l'excès. Louis Bloom vit pour lui-même et pour la consécration de sa propre existence : un but égoïste auquel répond cependant un personnage hautement charismatique, effrayant mais fascinant. Gyllenhaal réalise à ce titre une performance de haut vol : par-delà sa métamorphose physique, il s'imprègne de ce personnage ambigu, qu'il habite avec un mimétisme incroyable. Il s'agit probablement de la plus perfectionnée de ses interprétations à ce jour, et la plus magnétique également.
Dès lors que l'ascension de Louis Bloom se profile, aucun obstacle ne lui résiste : presque trop mécanique et linéaire dans sa logique, Dan Gilroy ne se donne pas la peine d'instaurer des fluctuations dans son récit. L'apprenti journaliste domine un monde qui s'offre à lui, et les rares opposants qui se dressent sur son chemin (policiers, l'expérimentée Nina, son assistant Rick...) ne sont que des obstacles qu'il contourne avec une facilité sans pareille. On pourrait ainsi dire de Night Call qu'il est paresseux, voire excessivement simple dans sa logique de progression. Mais, bien au contraire, cette architecture filmique, très épurée, permet de mettre en exergue l'aura fascinatrice qu'exerce Louis Bloom : si personne ne lui résiste, c'est aussi tout simplement parce que personne n'est en mesure de lui résister. Profitant d'un système qui s’enorgueillit de sa propre radicalisation (ici représentée par la diffusion des news les plus sordides et par une gestion managériale de leur diffusion), Lou infiltre méthodiquement les strates d'un milieu au cœur duquel sa propre mégalomanie se révèle comme un avantage indéniable. La terrifiante machination qui mène cet antihéros au sommet de sa gloire - on retiendra ce plan final angoissant où les nouvelles recrues partent à la conquête de la ville dans leur van respectif - est le reflet d'une société américaine parasitée par l'immoralité, le voyeurisme et l'obsession du succès à tout prix. Gilroy fait preuve d'un pessimisme sans commune mesure, qu'il intègre avec réussite dans un récit-diatribe qui a justement l'habileté de ne jamais forcer le trait. Complètement à la merci de son antihéros, Night Call n'est autre chose que le miroir pernicieux des fantasmes inavoués d'une certaine société. De ce point de vue-là, sa démonstration est brillante.
Une fois son cycle complété, et son propos sanctifié, Night Call laisse une très forte impression. Loin d'une canonisation hollywoodienne, aussi bien dans la forme que dans le fond, il peut dérouter, mais expose en réalité un propos très cohérent, transcendé par un protagoniste mémorable, campé par un Gyllenhaal au sommet de son art. A bord de son bolide rouge flamboyant, caméra à l'épaule et déterminé comme jamais, Lou Bloom hante les rues de Los Angeles à la recherche de son prochain trophée... Une quête inlassable, celle de la réussite. Qu'importe les excès, les règles édictées ou l'éthique. Tout ce qui importe, c'est la réussite.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire