mardi 10 février 2015

Foxcatcher, de Bennett Miller (2015)

Foxcatcher, réalisé par Bennett Miller, avec Steve Carell, Channing Tatum, Mark Ruffalo (2h10min)

Synopsis 

Récit intimiste des relations ambiguës entre le philanthrope John Eleutère du Pont et les frères Schultz, champions incontestés de lutte libre, pendant leur préparation intensive en vue des jeux olympiques de Séoul...

La critique de Boschomy

Bennett Miller a décidé de rester dans l'univers sportif : après l'évocation du base-ball en 2011 dans Le Stratège, c'est le milieu peu connu de la lutte qui est sous le feu des projecteurs du réalisateur américain. Inspiré de la vraie collaboration entre les frères Schultz et le philanthrope John Eleutère Du Pont dans les années 1980, le film retrace les relations tumultueuses entretenues par les protagonistes lors de la préparation intensive pour les jeux olympiques de Séoul sous l'égide de l'équipe Foxcatcher. Dans un exercice de style froid et austère, Miller tente pourtant de communiquer les angoisses et obsessions de ses protagonistes, non sans quelques difficultés.

On pourrait définir d'emblée Foxcatcher comme un film atypique : loin de l'uniformité des films sportifs américains - souvent propices à une exaltation sans commune mesure des vecteurs exemplaires de l'entreprise hollywoodienne - le film s'impose comme une étrangeté, cachée derrière une montagne de pudeur, voire une inertie narrative parfois périlleuse. En effet, sous couvert de livrer un drame plutôt qu'une odyssée sportive, Miller se repose sur une mécanique excluante qui entend suggérer son propos non pas par des exploits factuels ni un héroïsme exacerbé, mais bien plus par une ambiance, des symboles, voire des sous-entendus. Une méthode toujours difficile à appliquer parce qu'elle repose sur l'attention du spectateur et sa capacité à en déchiffrer la teneur. Ce qui ressort de Foxcatcher joue plutôt en sa défaveur, car la méthodologie à laquelle se livre Miller est non seulement difficile à déchiffrer, mais plombe aussi une histoire qui ne saurait se résumer à une simple parenthèse dramatique comme on essaye de nous faire croire, à l'instar de longues scènes d'introspection scrutant les moindres faits et gestes de John Dupont, heureusement campé par un Steve Carell aussi méconnaissable que resplendissant.

A vrai dire, les interprétations sont les lueurs d'incarnation de Foxcatcher : le trio Carell - Tatum -Ruffalo est redoutable, chacun excellant dans son registre et apportant au film une vivacité que l'on recherche en vain dans la mise en scène. Dans les recoins ternes du complexe installé par John Dupont, Tatum tétanise particulièrement, de par son mimétisme déluré, l'échine souvent courbée, l'incarnation systématiquement sauvage. Les acteurs sont donc les traits d'union salvateurs, relayant quelques moments pourtant bien pressentis par Miller, que ce soit l'escalade de folie qui s'empare du Dupont sur la fin ou la relation ambiguë entretenue par ce dernier avec Mark. Il manque peut-être finalement à Foxcatcher un véritable élan sportif qui aurait pu mieux faire ressortir le contraste avec l'oraison dramatique et empêcher par la même occasion d'ouvrir un gouffre teigneux duquel le réalisateur peine à s'extirper.

Colosse aux pieds d'argile, voilà un terme honnête pour synthétiser cet effort de Bennett Miller. On peut difficilement lui reprocher sa volonté affichée de montrer un versant plus pudique de l'aventure sportive : il reste que, justement par excès de pudeur, il cristallise de façon irréversible sa mise en scène et ses péripéties, rendant par la même occasion ses personnages prisonniers de son univers désincarné, bien que le casting se démène corps et âme pour échapper à cette servitude dissimulée. Foxcatcher sera finalement un projet trop complexe, trop maniéré, pour réussir à véhiculer ses valeurs particulières, qui avaient pourtant toute leur place dans l'univers sportif. Une déception, qui se complaît dans un certain niveau de raffinement enrayé par des aspérités insurmontables.

3 commentaires:

  1. Critique intéressante, mais trop d'envolée lyriques et de fioritures. Derrière tous ces mots ( " il reste que, justement par excès de pudeur, il cristallise de façon irréversible sa mise en scène et ses péripéties" ), peu de sens à mes yeux. Je n'ai donc pas compris votre position après lecture, cela est dommage. Pourtant je suis enseignant.

    N'est-ce pas également le principal reproche fait au film, au final, que d'être hermétique ?

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. Bonsoir, je suis l'auteur de la critique sur "Foxcatcher". Tes remarques sont pertinentes, je vais tenter d'apporter les justifications nécessaires. Déjà, cet esprit d'illisibilité que tu décris fait écho au sentiment de perplexité que j'ai ressenti en voyant le film, que j'ai trouvé très hermétique, se fourvoyant sur des pistes qui, à mon goût, n'ont pas lieu d'être. "Foxcatcher", en dépit d'atouts techniques indéniables, laisse de marbre. Ce qui rend l'exercice de critique aussi difficile qu'imparfait : comment porter un regard assez profond et nuancé sur un film qui ne nous transporte jamais totalement? Néanmoins, je n'ai pas voulu botter en touche face à cette difficulté, d'où ma critique. Mais, en effet, j'ai eu beaucoup de mal à communiquer mes ressentis sur cette oeuvre, d'où la tournure qui peut paraître illisible, même si je considère que le terme d'illisible n'est peut être pas le plus approprié. A titre d'exemple, je suis en train de rédiger une autre critique sur le film "It Follows", qui m'a ensorcelé et l'écriture n'en devient que plus fluide. Ensuite, concernant le sens, voire les tournures de phrases, ma réponse est plus nuancée. Je le reconnais, je suis un littéraire de formation, amateur des proses les plus alambiquées et essaie toujours de chercher la figure de style, la métaphore filée, peut-être de façon excessive, mais je rechigne à céder à un ton trop formel. Si l'on reprend l'exemple de 'la cristallisation de la mise en scène", tes déductions sont exactes (figée et manque de rythme), ce qui me laisse penser que je me suis fait comprendre a minima. J'ai vu dans "Foxcatcher" un film trop rigide, d'où le terme de "cristallisation" (au sens premier) qui indique bien un état figé et immuable (la formation des cristaux en l’occurrence). Je concède que le procédé est (inutilement?) maniéré, mais au bout d'un nombre incalculables de critiques, la nécessité de se réinventer, et de toujours aimer faire une critique, se fait au détriment du formalisme. Ceci n'est bien sûr que mon point de vue. Je concède que cette critique fut le fruit d'une gestation compliquée, car le film m'a laissé à distance, ce qui doit être la pierre angulaire de ma communicabilité toute relative. Dans tous les cas, merci pour la remarque, en espérant que tu iras malgré tout lire d'autres de mes critiques et, le cas échéant, que tu me feras part de tes remarques. Bonne soirée.

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