mardi 3 février 2015

A Most Violent Year, de J.C. Chandor (2014)

A Most Violent Year, réalisé par J.C. Chandor, avec Oscar Isaac, Jessica Chastain, David Oyelowo, Albert Brooks (2h05min)

Synopsis 

New-York, 1981, année la plus meurtrière que la ville ait jamais connue. Au cœur de cette fourmilière de violence, de corruption et d'insécurité, un couple d’entrepreneurs, Abel et Anna, est prêt à tout pour sauver son business, quand bien même se multiplient les tentatives d'intimidation et les délits infamants qui menacent non seulement leur avenir professionnel, mais également leur vie de famille...

La critique de Boschomy

C'est à J.C. Chandor que revient la tâche de conclure cette année 2014. Après un All Is Lost lourdement byzantin, qui valait surtout pour la prestation surhumaine de Robert Redford, le réalisateur américain quitte le grand océan pour se replier sur les rues new-yorkaises, en proie à une vague massive de criminalité en cet hiver 1981. En évoquant les difficultés de ce couple d'immigrants, dont le business est paralysé par la recrudescences de violence, Chandor rend surtout un bel hommage au film de gangsters, dans tout ce qu'il a de plus classieux et cruel, quitte à oublier d'assortir son film de véritables ressorts dramatiques.

Petit nouveau dans la foule hollywoodienne, J.C. Chandor s'est très vite fait remarquer pour ses talents de réalisateur et une efficace rationalisation de sa mise en scène, dont Margin Call et All Is Lost ont été perçus comme les parangons. A Most Violent Year ne fait pas exception et vient confirmer toute la minutie d'un maître d’œuvre soucieux du détail, à la limite du perfectionnisme : rien n'y est agencé au hasard, aucune grossièreté ne déborde du cadre et la mise en scène accompagne avec parcimonie les faits et gestes des personnages. Chandor pousse même son impressionnante capacité d'absorption et de digestion de l'espace en rendant un hommage à peine dissimulé aux films de gangsters des années 1970. Le spectre d'un Coppola n'est jamais loin et il est difficile de ne pas voir en Oscar Isaac la duplication d'un Al Pacino quelques décennies auparavant, de même qu'il est difficile de ne pas prendre en compte ce souci de la photographie, qui donne à A Most Violent Year une allure classieuse mais pourtant jamais ringarde, celle qui confère à un film ce doux parfum nostalgique d'une époque précieuse maintenant révolue. Toute l'intelligence du réalisateur américain ressort avec évidence dans la moindre scène, ce qui n'empêche pas quelques initiatives bienvenues, dont la présence d'un personnage féminin très affirmé (incarné par Jessica Chastain), résolument un élément troublant au centre d'une fresque qui reste malgré tout très masculine.

Superbe exercice de style, donc. Et pourtant, la prouesse visuelle de Chandor apparaît comme un palliatif à un récit qui manque cruellement d'enjeux. A Most Violent Year capte avec facilité l'attention du spectateur, en faisant resplendir ses ornements visuels, mais ne lui offre jamais une histoire assez palpitante pour l'emporter totalement. Focalisée sur ce couple d'entrepreneurs valeureux et déterminés et sur ses efforts pour survivre dans un univers hostile, la scénarisation n'essaie jamais de dépasser des obstacles triviaux et des enjeux un peu primaires, légèrement aggravés par le climat criminel qui règne dans la Big Apple. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, cette année charnière de 1981, qui nous promettait de la sueur, du sang et des larmes, a bien peu à offrir, si ce n'est quelques bandits amateurs et escroqueries de second rang : on cherche, en vain, toute la violence contenue dans le superlatif du titre du film. Encore plus étonnant est le fait que Chandor dissémine des pistes par-ci et là (à l'instar de la poursuite du camion volé par Abel, une scène sous haute-tension) mais les abandonne presque aussitôt, comme si la pudeur du récit était inconciliable avec l'immixtion d'un élément perturbateur digne de ce nom. La même absence d'ampleur dramatique manquait à Margin Call, mais ce dernier, de par sa thématique très technique, pouvait justifier un tel oubli, ce qu'il est plus dur à pardonner à A Most Violent Year.

Pour autant, le film donne toujours l'impression d'être acculé, sur le point de détonner, exploser, notamment via une certaine violence symbolique qui s'incarne surtout dans les regards, dans les gestes, voire dans les silences. Malheureusement, cette accumulation se fait jusqu'à la saturation, sans que jamais l'explosion tant désirée vienne fracasser le verrou posé par Chandor. Elle trouve son incarnation la plus poussée dans le meurtre d'un cerf, bien maigre consolation par rapport à l'envergure du film. La clausule aurait pu être l'occasion d'un retournement cynique, il n'en sera rien. Pour ces raisons il est impossible de hisser A Most Violent Year au rang de chef-d’œuvre, justement parce qu'il lui manque l'imprévisibilité de ces derniers. Cependant la maîtrise dont fait preuve Chandor permet à son film de conserver son pouvoir de fascination jusqu'au bout. La frustration se mélange à l'admiration quand le générique final s'imprime sur l'écran : la grande marche formaliste, aussi flamboyante soit-elle, aura finalement accaparé toutes les attentions, jusqu'à engloutir toute tension dramatique et toute forme d’héroïsme.

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